Quel fut votre Mai 68 ?
Appel à témoignages
À l’occasion du cinquantenaire de Mai 68, Micro-Archives, association dédiée à la sauvegarde des archives des citoyens, collecte la parole des femmes et des hommes afin de connaître le quotidien des Français en mai 1968.
Vous avez participé aux événements ou vous y avez assisté de loin. Vous étiez employé, ouvrier, agriculteur, lycéen… Vous viviez alors dans une grande ville, une commune moyenne ou un village. Qu’avez-vous ressenti face à ces événements majeurs ? Quels sont vos souvenirs de famille ou professionnels liés au printemps 1968 ? Toutes les mémoires sont importantes car elles témoignent, à leur façon, de ce qu’a réellement représenté Mai 68 dans la vie quotidienne des Français.
Comment témoigner ?
Plusieurs manières de témoigner sont à votre disposition :
- Sous la forme d’un entretien pour les habitants de Neufchâteau dans les Vosges et aux alentours . Cet entretien sera réalisé à votre domicile lors d’un rendez-vous avec un bénévole de l’association. Avec votre autorisation, il sera enregistré.
- Un récit écrit dans lequel vous consignez vos souvenirs personnels de cette période.
- Nous recueillons tout document relatif à Mai 68 : photographies, tracts, affiches, correspondance… Vous pouvez nous transmettre vos documents sous la forme de don ou de prêt (nous scannerons vos documents puis vous les retournerons).
Quelle que soit la forme de votre témoignage, celui-ci fera l’objet d’un contrat avec l’association Micro-Archives. Ce contrat fixera les droits de conservation et d’exploitation dans le respect absolu de vos volontés et de votre vie privée.
Pour contacter Micro-Archives
Si vous souhaitez témoigner ou nous adresser votre texte et/ou vos archives, merci de nous contacter :
téléphone : 06 45 63 66 61
mail : contact@microarchives.com
Pour les documents volumineux, privilégiez le système d’envoi www.wetransfer.com
Ou par courrier :
Micro-Archives
15 Parc de Diane – 78350 Jouy-en-Josas
Et après… quelles utilisations seront faites de vos témoignages ?
En premier lieu, les témoignages seront conservés pour constituer une précieuse masse d’informations à destination des historiens et des chercheurs en sciences sociales.
Micro-Archives prévoit également la parution d’une galerie de portraits sur son site internet.
Enfin, d’autres manifestations ou partenariats pourront avoir lieu dans le respect des dispositions de votre contrat.
Ce qu’a apporté Mai 68 : Un mois tumultueux, puis une décennie alternative, décalée et prolifique.
Du droit d’inventaire au désir d’inventer.
Mes souvenirs de Mai 68 sont ceux d’un jeune d’à peine 14 ans qui se rappelle le beau temps printanier de ces moments là, de la surprise qu’ont été ces semaines déscolarisées entre les vacances de Pâques et celles d’été. J’ai joué au foot plus que de raison, matin et soir avec les copains. Pour autant, bien que mes souvenirs des évènements soient parcellaires, je me rappelle de l’incongru de ces moments. Je crois que mon père a peu fait grève dans sa vie mais il l’était bel et bien ce mois là. Il partait à des moments inhabituels, parfois la nuit « tenir le piquet de grève » aux usines CHAUSSON à Gennevilliers. En outre, alors que nous ne mangions jamais à la cantine, nous y avons été régulièrement durant cette période : La mairie communiste d’Argenteuil ouvrait largement son service de restauration aux enfants de travailleurs en grève.
Nous habitions, un quartier ouvrier pavillonnaire, préservé des stigmates du mouvement mais je me rappelle cependant d’une virée en vélo avec mon père vers Bezons. A l’approche de la rue Henry Barbusse, nous sommes passés devant des bâtiments qui présentaient toutes les caractéristiques de l’usine occupée. (Banderoles, piquet de grève, …) Je ne savais pas à l’époque qu’il s’agissait des usines Dassault. J’en fus très impressionné, c’est de cet évènement là et de ce contexte exceptionnel que débuta l’apprentissage de ma conscience politique.
La décennie qui a suivi ce tourbillon révolutionnaire a été largement imprégnée de ces idéaux de liberté et d’expérimentation. En ce qui concerne ma génération, le mouvement social et culturel était en phase avec cette période de la vie, la jeunesse, où tout apparait possible. D’avoir été jeune et enthousiasme durant cette période marque très profondément. Ainsi, je me suis toujours considéré, avec fierté, comme un post soixante-huitard. La volonté de prendre le contre pied de mes études techniques, non vraiment choisies, pour investir une carrière éducative prend sens dans ce cadre.
Rappelons le contexte et la relative surprise qu’a été Mai 68 : la France gaullienne « s’ennuie ». Elle s’est remise des affres de la deuxième guerre mondiale et de la décolonisation, est structurée par la famille nucléaire (Monsieur gagne pain épousait madame ménagère et ils avaient beaucoup d’enfants… ) et est gavée par l’irruption de la société de consommation. Le salon des arts ménagers fait le plein et propose téléviseur, machine à laver, aspirateur et autres objets propre à faciliter la tâche de la maitresse de maison. Monsieur rêve devant les voitures du salon de l’auto. Cette société n’en est pas moins corsetée, en particulier sa jeunesse qui goûte pourtant depuis le début de la décennie aux « copains » et au rock and roll. L’adolescent prend ses postures de rebelle et est tout autant une cible de ce que l’on ne nomme pas encore le marketing.
Le monde occidental des années 60 est en bouillonnement larvé. Il lorgne vers l’Amérique qui rentre dans la contestation de la guerre du Viet Nam, de la promotion des droits civiques et de la floraison du mouvement hippie et de sa musique associée. (Bob Dylan, Joan Baez, puis Jefferson Airplane, Grateful Dead, Jimmy Hendrix, Doors, Janis Joplin …)
La particularité de ce « joli mois de mai » fut l’alliance assez réussie dans la contestation, des étudiants (Les études supérieures ne concernaient que 7 à 8 % de la classe d’âge des 18-24 ans en 1968 ) issus des classes moyennes et supérieurs et du monde ouvrier. La finalité du travail est remise en cause. Il faut dire que la besogne est harassante dans les usines : les semaines dépassent parfois 45 heures. Les cadences du taylorisme, alors à son apogée sur les chaines de fabrication, sont critiquées. S’exprime aussi la volonté d’abolir les hiérarchies et le fractionnement du travail, porté parfois par un discours révolutionnaire de réappropriation des moyens de production.
Après ces semaines d’ébullitions insensées et malgré la reprise en main gaulliste, un nouveau monde, ou plutôt une nouvelle façon de voir le monde émerge. En ce sens, les mutations mises en œuvre par mai 68 sont largement sociales et culturelles.
Le sexe n’est plus tabou. Il émerge au plein jour, en particulier chez la jeunesse. Il est « en sous main » le motif des premières manifs à Nanterre (Les garçons voulaient pouvoir aller dans la chambre des filles et réciproquement). Les écrits de W. REICH, à nouveau diffusés, influencent de nouveaux comportements sexuels plus décomplexés. La diffusion de moyens contraceptifs, octroyée par la récente loi Neuwirth, permet aux femmes de mieux gérer leur fécondité et éloigne la hantise de la grossesse. Mais la libération sexuelle ne remet pas en cause, tout du moins dans un premier temps, la domination masculine.
Les mouvements féministes s’affirment. Maltraitées par le mouvement révolutionnaire, bien souvent cantonnées dans des positions subalternes ( faire et servir le café… ) les femmes affirment leur prétention à (faire) prendre conscience de la sujétion patriarcale et à combattre pour une égalité effective, à se découvrir à la fois intimement en faisant tomber les tabous, en particulier sur le corps féminin (notre corps, nous même ) et socialement en faisant émerger des revendications spécifiques (contraception, droit à l’avortement, refus de la famille patriarcale et de ses rôle inégalitaires…)
La question écologique émerge : critique des produits standardisés et de l’emballement des modes de production agricoles intensifs. Premières alertes sur la destruction du monde vivant. Refus du nucléaire civil comme mode de production d’énergie insensé. Mouvement de retour à la terre, quitter les villes pour investir un monde rural en voie de désertification. Inventer des modes de vie totalement en rupture avec les schémas contemporains. Même si beaucoup en reviendront assez vite parce que trop radicaux dans leur choix, le mouvement de l’urbain vers le rural perdure et désormais, est souvent une démarche choisie.
Affirmation de la place de l’enfant en tant qu’être autonome et sensible (Dolto) Critique de l’éducation coercitive. Emergence, expérimentation ou réaffirmation de pédagogies alternatives. (Freinet, Montessori, Neil, …) avec des dérives que seront l’enfant roi, voire tyran. L’alternatif n’est pas le laisser faire ni non plus la démission des adultes.
Bien sûr, certaines de ces aspirations connaîtront leur excès mais le retour du balancier ne s’équilibrera plus là comme avant. Il faut également admettre que le libéralisme amorçant son retour triomphant à partir de 1985, a récupéré à son profit certains termes et concepts (liberté, inventivité,…) tout en vilipendant certains autres. (Les coups portés aux valeurs conservatrices, le désordre et l’état insurrectionnel, le collectivisme,…) L’essor du libéralisme de plus en plus mondialisé portera un coup fatal à ces utopies ou « un autre monde apparaissait possible »
Certains héros de cette époque ont mal vieilli en passant d’électron libre à macronien (Dany Cohn Bendit), sont désabusés (Romain Goupil) ou arc boutés sur l’idée d’un grand soir révolutionnaire (Alain Krivine). Stigmatiser l’utopie soixante-huitarde est un exercice facile tant la mythologie libérale dominante tend à opposer ce qui serait de l’ancien monde, forcément ringard, au nouveau monde qui, sous couvert de pragmatisme et d’adaptation au principe de réalité, voudrait nous faire basculer dans une société « de progrès » de maîtrise technologique et de marché sans frontière.
Quiconque analyse cependant la marche de notre monde constate la permanence de conflits et de crimes contre les populations (Syrie, Yémen, Congo, …), la poussée des régimes conservateurs et/ou dictatoriaux (Trump, Poutine, Erdogan, Kim Jong-un,…), la multiplication des attentats et du terrorisme islamique, y compris dans nos contrées auparavant « protégées », le tout sur fond d’accaparement des richesses par une minorité de plus en plus riche au détriment de l’ensemble des populations et de la destruction accélérée de notre environnement. L’ensemble fait machiavéliquement système.
La voracité libérale, dans ses excès, ne saurait perdurer ainsi. Le progrès n’en est pas un s’il est instrumentalisé par une minorité qui n’y voit qu’une source de profit personnel et d’asservissement de la majorité (GAFA). La mise à disposition des inventions et le développement des nouvelles technologies, en particulier de communication, outre s’inscrire dans une finalité éthique, doivent mettre au centre et sur tous les continents, la satisfaction des besoins humains élémentaires associée à une gestion raisonnée de nos ressources environnementales.
Derrière l’idée de liberté affichée sur les murs parisiens en ce mois de mai 68, quelques grandes aspirations demeurent. Ainsi, les femmes, dans la dénonciation actuelle des harcèlements et violences à leur encontre, montrent pour leur part, un chemin possible et salutaire. Ici et dans d’autres domaines, quelques élans nouveaux nous emportent dans un mouvement qui remet l’humain et le partage égalitaire des biens communs au centre des projets et des aspirations. Que l’inventaire permis par ce cinquantenaire de l’insurrection impulse le désir d’inventer à nouveau.